• Née en 1972, vit à Rotterdam, Pays-Bas
• Invalid icon (Anglet) – 2018
Argile
Œuvre
Entre 1916 et 1917, le musée du Petit Palais, à Paris, a exposé des œuvres mutilées par le conflit de la Première Guerre mondiale. Parmi elles figurait une Piéta à la Vierge acéphale. L’exposition originelle visait, sur le mode de la propagande, à dénoncer les atrocités de l’ennemi. Anne Wenzel réinterprète cette sculpture en argile crue, mais en attirant notre attention, non pas sur la douleur d’une mère éprouvée pour son fils, mais plus généralement sur le pouvoir universel de la compassion. Et plus précisément sur notre capacité d’empathie devant un drame qui se joue devant nos yeux, tandis que cette sculpture fragile se délite peu à peu, comme la métaphore d’un monde contemporain de plus en plus marqué par un déficit émotionnel.
Parcours
Installée depuis 1992 aux Pays-Bas, l’Allemande Anne Wenzel y prolonge la tradition céramiste pour réaliser de remarquables sculptures et installations. Catastrophes naturelles, attentats, craintes millénaristes inspirent à l’artiste des œuvres noires, parfaites métaphores de notre sombre époque. Ce sont là des monuments pour le temps présent. Mais il émane dans le même temps de ces corps parfois diminués une grâce, une fragilité qui sont la marque d’une humanité intemporelle.
Texte choisi par l’artiste
L’Étranger d’Albert Camus, 1957.
J’ai pensé que je n’avais qu’un demi-tour à faire et ce serait fini. Mais toute une plage vibrante de soleil se pressait derrière moi. J’ai fait quelques pas vers la source. L’Arabe n’a pas bougé. Malgré tout, il était encore assez loin. Peut-être à cause des ombres sur son visage, il avait l’air de rire. J’ai attendu. La brûlure du soleil gagnait mes joues et j’ai senti des gouttes de sueur s’amasser dans mes sourcils. C’était le même soleil que le jour où j’avais enterré maman et, comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes ses veines battaient ensemble sous la peau. À cause de cette brûlure que je ne pouvais plus supporter, j’ai fait un mouvement en avant. Je savais que c’était stupide, que je ne me débarrasserais pas du soleil en me déplaçant d’un pas. Mais j’ai fait un pas, un seul pas en avant. Et cette fois, sans se soulever, l’Arabe a tiré son couteau qu’il m’a présenté dans le soleil. La lumière a giclé sur l’acier et c’était comme une longue lame étincelante qui m’atteignait au front. Au même instant, la sueur amassée dans mes sourcils a coulé d’un coup sur les paupières et les a recouvertes d’un voile tiède et épais. Mes yeux étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel. Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front et, indistinctement, le glaive éclatant jailli du couteau toujours en face de moi. Cette épée brûlante rongeait mes cils et fouillait mes yeux douloureux. C’est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épai et ardent. Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s’est tendu et j’ai crispé ma main sur le revolver. La gâchette a cédé, j’ai touché le ventre poli de la crosse et c’est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. J’ai secoué la sueur et le soleil. J’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux.
Work
Between 1916 and 1917, the Petit Palais museum in Paris exhibited artworks that were damaged during the First World War. Among them was a Pietà with a headless Virgin. The original exhibition, in the form of a propaganda campaign, denounced enemy atrocities. Anne Wenzel reinterprets this sculpture in raw clay, but rather than giving us to see an afflicted mother’s sorrow for her son, her emphasis is on the universal power of compassion, more specifically our capacity for empathy in front of a drama unfolding before our eyes as this fragile sculpture gradually disintegrates, a metaphor for our contemporary world and its growing emotional deficit.
Career
German artist Anne Wenzel creates remarkable sculptures and ceramic installations. Natural disasters, terrorist attacks, millennialist fears inspire the artist to produce sombre works, ideal representations of our dark period. They are monuments for our time. But these sometimes diminished bodies radiate a grace, a fragility that are the hallmark of timeless humanity.
Text chosen by the artist
L’Étranger d’Albert Camus, 1957.
J’ai pensé que je n’avais qu’un demi-tour à faire et ce serait fini. Mais toute une plage vibrante de soleil se pressait derrière moi. J’ai fait quelques pas vers la source. L’Arabe n’a pas bougé. Malgré tout, il était encore assez loin. Peut-être à cause des ombres sur son visage, il avait l’air de rire. J’ai attendu. La brûlure du soleil gagnait mes joues et j’ai senti des gouttes de sueur s’amasser dans mes sourcils. C’était le même soleil que le jour où j’avais enterré maman et, comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes ses veines battaient ensemble sous la peau. À cause de cette brûlure que je ne pouvais plus supporter, j’ai fait un mouvement en avant. Je savais que c’était stupide, que je ne me débarrasserais pas du soleil en me déplaçant d’un pas. Mais j’ai fait un pas, un seul pas en avant. Et cette fois, sans se soulever, l’Arabe a tiré son couteau qu’il m’a présenté dans le soleil. La lumière a giclé sur l’acier et c’était comme une longue lame étincelante qui m’atteignait au front. Au même instant, la sueur amassée dans mes sourcils a coulé d’un coup sur les paupières et les a recouvertes d’un voile tiède et épais. Mes yeux étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel. Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front et, indistinctement, le glaive éclatant jailli du couteau toujours en face de moi. Cette épée brûlante rongeait mes cils et fouillait mes yeux douloureux. C’est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épai et ardent. Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s’est tendu et j’ai crispé ma main sur le revolver. La gâchette a cédé, j’ai touché le ventre poli de la crosse et c’est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. J’ai secoué la sueur et le soleil. J’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux.
Obra
Entre 1916 y 1917, el Museo del Petit Palais de París, expuso las obras mutiladas por el conflicto de la Primera Guerra Mundial. Entre dichas obras figuraba una Pieta, una Virgen acéfala. Como si fuera una propaganda, la exposición original aspiraba a denunciar las atrocidades del enemigo. Anne Wenzel reinterpreta esta escultura en arcilla cruda, intentando captar nuestra atención no en el dolor de una madre desconsolada por su hijo, sino de manera más general, en el poder de la compasión. Y especialmente en nuestra capacidad de empatía frente un drama que sucede ante nuestros propios ojos, mientras que la frágil escultura se diluye poco a poco, al igual que la metáfora de un mundo contemporáneo que cada vez se ve más marcado por un déficit emocional.
Curso
La alemana Anne Wenzel realiza unas formidables esculturas e instalaciones en cerámica. Catástrofes naturales, atentados, temores milenarios inspiran a la artista de las obras negras, representaciones perfectas de nuestra época sombría. Unos monumentos para el tiempo presente. Sin embargo, los cuerpos, quizás disminuidos, emanan gracia, fragilidad, justo la marca de una humanidad atemporal.
Texto elegido por el artista
L’Étranger d’Albert Camus, 1957.
J’ai pensé que je n’avais qu’un demi-tour à faire et ce serait fini. Mais toute une plage vibrante de soleil se pressait derrière moi. J’ai fait quelques pas vers la source. L’Arabe n’a pas bougé. Malgré tout, il était encore assez loin. Peut-être à cause des ombres sur son visage, il avait l’air de rire. J’ai attendu. La brûlure du soleil gagnait mes joues et j’ai senti des gouttes de sueur s’amasser dans mes sourcils. C’était le même soleil que le jour où j’avais enterré maman et, comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes ses veines battaient ensemble sous la peau. À cause de cette brûlure que je ne pouvais plus supporter, j’ai fait un mouvement en avant. Je savais que c’était stupide, que je ne me débarrasserais pas du soleil en me déplaçant d’un pas. Mais j’ai fait un pas, un seul pas en avant. Et cette fois, sans se soulever, l’Arabe a tiré son couteau qu’il m’a présenté dans le soleil. La lumière a giclé sur l’acier et c’était comme une longue lame étincelante qui m’atteignait au front. Au même instant, la sueur amassée dans mes sourcils a coulé d’un coup sur les paupières et les a recouvertes d’un voile tiède et épais. Mes yeux étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel. Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front et, indistinctement, le glaive éclatant jailli du couteau toujours en face de moi. Cette épée brûlante rongeait mes cils et fouillait mes yeux douloureux. C’est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épai et ardent. Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s’est tendu et j’ai crispé ma main sur le revolver. La gâchette a cédé, j’ai touché le ventre poli de la crosse et c’est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. J’ai secoué la sueur et le soleil. J’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux.